L'invention du grand chiffre de Louis XIV () ()


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Les codes de Louis XIV

La famille Rossignol

En avril 1628, le prince de Condé dirigeait l’armée royale française qui assiégeait la ville protestante (huguenote) de Réalmont. Les soldats de Condé capturèrent un messager huguenot porteur d’un message chiffré. Personne dans l’entourage du Prince ne sut le déchiffrer. Condé envoya alors le message à Antoine Rossignol d’Albi, connu pour s’intéresser à la cryptographie. Le jeune Antoine résolva le message immédiatement : les assiégés avaient désespérément besoin de munitions. Condé envoya la traduction aux assiégés qui capitulèrent immédiatement.

Richelieu qui avait un peu le rôle de premier ministre du roi Louis XIII, dés qu’il eu vent de cette histoire, mis à son service le jeune Antoine. Dés lors, Antoine prouva sa valeur à maintes reprises en déchiffrant des messages très importants notamment un message capturé pendant le siège de La Rochelle qui conduisit (comme pour Réalmont) à la capitulation de la ville.

Mazarin, le successeur de Richelieu, nomma Rossignol maître de la chambre des comptes et conseiller d’état. Sous le règne de Louis XIV, Rossignol travaillait souvent dans une chambre proche de celle du roi. Il travaillait aussi dans son domaine de Juvisy à 27 km de Versailles, soit environ 2h pour un courrier à cheval.

Les succès de Rossignol le rendirent riche. Par exemple, en 1653, il reçut du Roi 14 000 écus (un écu égal à 3 livres); en 1672, il reçut 150 000 livres (une livre équivaut à peu près à 10 euros ou 10 dollars).

Antoine Rossignol meurt en décembre 1682 à l’age de 83 ans.

Antoine a eu deux enfants: une fille, Marie et un garçon, Bonaventure. Antoine initia très tôt son fils à la cryptologie. Bonaventure commença à assister son père et plus tard, logiquement lui succéda comme cryptanalyste du Roi.

Chiffreurs et cryptanalystes

Les chiffreurs formaient le service du chiffre. Leur rôle était de chiffrer et déchiffrer les messages émis ou reçus par le roi, ses ministres ou bien par ses plénipotentiaires. Ce sont eux (sans doute les plus expérimentés) qui concevaient les nomenclatures. Ils étaient employés à plein temps.

Selon le pays, l’époque et leur intelligence, les chiffreurs jouaient aussi le rôle de cryptanalyste.

En France, pour casser les codes ennemis, il semble qu’on fisse appel à des consultants comme le mathématicien Viète à l’époque du roi Henri IV ou comme les Rossignol à l’époque de Louis XIV. En Angleterre, le mathématicien John Wallis jouait le rôle de cryptanalyste également en tant que consultant pour le gouvernement anglais.

Durant le règne de Louis XIV, les chiffreurs travaillaient directement en liaison avec le roi et ses ministres et donc étaient physiquement proches de ces personnes. C’était également le cas des Rossignol. Il paraît logique que des échanges eurent lieu entre les cryptanalystes (les Rossignol) et les chiffreurs. En effet, les Rossignol connaissaient les points faibles des chiffres des ennemis. Ils pouvaient aider les chiffreurs à concevoir des nomenclatures plus résistants aux attaques.

Qui a inventé le grand chiffre : est-ce Antoine ou Bonaventure ?

Mr Tomokiyo a trouvé dans les mémoires de Catinat (éditées au début du XIX siècle) le premier code utilisant deux tables. Le document date de 1676. Les premières tables chiffrantes / déchiffrantes authentiques retrouvées datent de 1688. Le plus vieux document que j’ai trouvé utilisant deux tables sont présent dans les mémoires de Catinat et il date de 1685.

La plupart des livres ou articles concernant la cryptologie mettent au crédit d’Antoine (le père) la création du grand chiffre. Or, si le premier grand chiffre date de 1676, Antoine avait environ 77 ans.

Je pense que c’est plutôt son fils, Bonaventure qui inventa l’usage des double tables. En effet, il est logique d’imaginer qu’une invention de cette ampleur soit le fait d’une personne jeune plutôt que réalisée par un vieillard. Il est possible que Bonaventure ait demandé conseil à son père et ce serait alors une découverte commune. En tout état de chose, on a aucune précision sur cette découverte.

Cohabitation des différents types de codes

On le constatera dans les exemples, l’utilisation exclusive des double tables ne se fit pas du jour au lendemain. Des codes numériques semi-ordonné (et donc utilisant une seule table) ont été utilisés concurremment à partir de 1676 et jusqu’en 1693 (au moins), c’est à dire pendant presque une vingtaine d’années !

Ces codes semi-ordonnés sont différents de ceux existants dans les époques précédentes et globalement leur sont inférieurs. Le cassage de ces codes était très facile. En effet, chaque groupe chiffrant était représenté par un seul groupe numérique. Une autre caractéristique concerne les lettres qui sont ordonnées, par exemple a :20, b :22, c :24, d:26, e:28, ... . La seule différence entre deux versions de ces codes, était le point de départ et l’écart, par exemple, pour un code différent du précédent : a:2, b : 5, c:8, d:11, ...

Pourquoi cette cohabitation a eu lieu ? Je n’ai aucune opinion péremptoire. Voici mon hypothèse

Comme on l’a dit précédemment, on suppose que les Rossignol ont proposé leur méthodes aux chiffreurs. Dans la France de l’époque (et encore aujourd’hui :-), un individu appartient à une caste et reçoit de mauvais gré les conseils d’une personne qui n’est pas de sa caste. Il a fallu que les Rossignol convainquent les chiffreurs que ceux-ci avaient à gagner à utiliser de nouvelles méthodes. Donc à mon avis, l’invention des codes à double tables et ceux à simple table sans redondance fut concomitante, avec chacun une utilisation particulière :

  • Un code à double table pour les communications les plus importantes et qui doivent être sécurisées au maximum. Pour simplifier le travail des chiffreurs, le code aura peu de groupes (tout au moins au début).
  • Un code à simple table sans redondance pour les communications non stratégiques. Pour aider les chiffreurs, la structure très simplifiée de ce type de codes leur permet éventuellement de les apprendre par cœur et de chiffrer / déchiffrer très rapidement.
On remarque qu’il y a un point commun entre ces deux types de codes : ils sont purement numériques. Les chiffreurs voient rapidement l’avantage : il est très simple d’ajouter des groupes chiffrant pour chiffrer de plus en plus de noms propres et de noms communs et en final chiffrer plus rapidement.

On le voit, tout le monde est content. Le gouvernement français dispose maintenant d’une méthode très sure qui est certes plus complexe à manipuler par les chiffreurs, mais une autre méthode (au début sans doute la plus usuelle) est disponible et qui fait la joie du chiffreur.

Références

  • THE CODEBREAKERS, The Story of Secret Writing, par David Kahn, édité par Scribner (1967, 1996). Cette ouvrage, un des plus important en ce qui concerne l'histoire de la cryptologie, décrit (entre autre) l'histoire des Rossignol. Il donne pour chaque détail des références à des livres ou à des archives (Bnf, ...).