Les codes de Napoléon 1er () ()


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L’héritage de la royauté

Depuis la renaissance, en Europe, le chiffrement protège les courriers échangés entre le pouvoir central et les ambassades et les états-majeurs de l’armée. En France, à la fin du règne de Louis XIV, Rossignol invente les codes à deux parties (ou codes à battons rompus). Cette technique est utilisée par les successeurs du roi soleil (Louis XV, Louis XVI) mais se répand aussi dans toute l’Europe. Les généraux de la révolution et Napoléon héritent de cette technologie et c’est elle qui est utilisée de manière quasi exclusive pour chiffrer.

Plusieurs codes existent, le grand et le petit chiffre

Pour assurer la sécurité des codes. Ceux-ci ont une durée de vie limité et une utilisation particulière. Ainsi par exemple le code utilisé par Napoléon pour communiquer avec le Maréchal Davout est mis en service le 23 août 1813 et il est retiré le 1er décembre de la même année.

Selon le degré de sécurité voulu, un code utilise un nombre variable de groupes. Chaque groupe correspondant soit à une lettre, un ensemble de lettres ou même un mot complet. Pour avoir le maximum de sécurité, des codes de plus de mille groupes sont utilisés. On les appelle les « Grands Chiffres ». Par exemple, le code utilisé durant la campagne d’Espagne en 1812 faisait 1200 groupes. Ils sont typiquement utilisés par l’Empereur lui-même ou par l’état-majeur ou ses principaux généraux. D’autres codes, composés seulement de quelques centaines de groupes, sont appelés « Petits Chiffres ». Ils sont par exemple utilisés entre deux généraux.

Remarque: le code de 1812 a subit des ajouts: les groupes de 1201 à 1400. Les ajouts étaient souvent écrits à la main à la fin de la table chiffrante et contenaient essentiellement des noms propres associés spécifiquement à l'usage du code (ici la guerre en Espagne).

Une vision concrète

Dans les archives de l’armée française, j’ai trouvé un manuel qui apprend à un secrétaire chiffreur comment chiffrer et déchiffrer un message. Ce manuel était accompagné des tables de chiffrement et déchiffrement. Ces informations permettent de comprendre concrètement le fonctionnement des codes à battons rompus. Ce code a été utilisé durant les 100 jours en 1815.

Le commandant Bazeries est connu pour avoir reconstitué un des grand chiffre de Louis XIV. Il s’est aussi attaqué à plusieurs messages chiffrés de l’époque napoléonienne. Nous présentons des extraits de ses déchiffrements. L'un concerne plusieurs lettres chiffrées en utilisant un grand chiffre datant de 1813. Il était utilisé pour la communication entre l'Empereur et le maréchal Davout. Un autre exemple, utilisant un petit chiffre, date aussi de 1813. Il était utilisé pour assurer la communication entre les généraux Berthier et Augereau.

Une technique mal maîtrisé, Scovell et la campagne d’Espagne

Si l’on observe des textes chiffrées de l’époque révolutionnaire ou napoléonienne, on s’aperçoit que les chiffreurs sont moins compétents que leurs prédécesseurs de l’époque royale. On peut se demander la raison. A mon avis, la révolution à chambouler le monde feutré des cabinets de chiffrement. Les chiffreurs étaient instruit par les concepteurs des codes qui également décryptaient les messages ennemis et pouvaient indiquer aux chiffreurs les erreurs à ne pas commettre. Cette culture s’est perdu durant la révolution. Les chiffreurs et les briseurs de codes sont partis dans la nature.

L’erreur la plus importante est le mélange de texte clair et de texte chiffré. A elle seule, cette pratique peut compromettre complètement un code. Un chiffreur bien instruit ne devrait pas commettre cette erreur. Les extraits publiés par Bazeries fourmillent de ce mauvais usage.

D’autres manquement à la sécurité peuvent être observés durant l’époque napoléonienne :

  • Un même texte chiffré en plusieurs exemplaires et à chaque fois chiffré différemment.
  • L'agrafage du texte clair et du texte chiffré.
  • Enfin, contrairement à l’époque royale il n'y a plus de tables en réserve.

Les erreurs des chiffreurs français ont concrètement permis à Scovell, officier de l’armée de Wellington de déchiffrer d’importantes missives durant la campagne d’Espagne en 1812.

La table déchiffrante du code utilisé durant cette campagne et en partie reconstitué par Scovell est présent dans les archives du SHD.

Un document exceptionnel

En 2021, Mr Karsten Hansky a acheté aux enchères une lettre en partie chiffrée datant de l’époque de la campagne d’Espagne de 1812. Une telle lettre manuscrite est très rare en dehors des archives nationales.

Mr Karsten Hansky m’a autorisé à publier cette lettre et les travaux qu’il a réalisé la concernant. Son document est disponible en anglais et en allemand.

Références

  • Les Chiffres secrets dévoilés, par le Commandant BAZERIES, PARIS: Librairie Charpentier et Fasquelle, 1901.
  • Les chiffres de Napoléon 1er, par le Commandant BAZERIES, PARIS, M. Bourges, 1896.
  • The man who broke Napoleon’s codes. The story of George Scovell. Mark Urban, Faber and Faber. 2001.
  • Great Ciphers of Napoleon's Grande Armée (Cryptania)
  • The National Archives: General Scovell (1774-1861) (Secret & Spy)
  • Lot 65: NAPOLEON IER. LETTRE SIGNEE « NAP », ADRESSEE A HUGUES-BERNARD MARET. TROÏTSKOÏE, 20 OCTOBRE 1812. 3/4 P. IN-4. 10 000 / 15 000 € EXCEPTIONNELLE LETTRE INTEGRALEMENT CHIFFREE. JOINT, LE DECRYPTAGE DE L'EPOQUE (3/4 P. IN-4 MANUSCRITES) : « JE (Invaluable)