Un code complet de Napoléon 1er () ()


Les codes de Napoléon 1er

Présentation du code F 18

Le code intitulé « F 18 » a été utilisé par les troupes de l’Empereur pendant les 100 jours pour communiquer avec les commandants des places fortes.

Il est composé de 1200 groupes. C’est la taille courante d’un grand chiffre de l’époque. Des codes utilisés par l’Empereur lui-même pouvaient atteindre 3000 groupes. Dans les archives j’ai trouvé les deux tables (ce qui est rare): chiffrante (C), et déchiffrante (D) mais aussi (ce qui est exceptionnel) le manuel d’utilisation.

C’est un code à battons rompus (en deux partis). Chaque groupe signifie:

  • Une lettre : ABC...Z, les lettres I et U sont absentes et sont remplacés par J et V.
  • Une syllabe : ba, be, bi, bo, bu, …
  • Un polygramme : ition, ...
  • Un mot :
    • Un nom commun : combat, dépêche, toujours, …
    • Un nom propre : un continent (Amérique, Europe), une mer (Baltique, Méditerranée), un Pays (France, Espagne, Hollande, …), une Ville (Naples, Copenhague, Hambourg, Londres, …).

Remarques:

  • Il n’y a aucun de nom de personne. C’est aussi le cas du code de base de 1812 composé de 1200 groupes utilisé en Espagne. En fait, un ajout à été fait (codes de 1201 à 1400) qui contient essentiellement des noms propres dont des noms de personnes (Général Suchet, Général Bonnet, …).
  • Dans la table chiffrante, plusieurs mots très fréquemment utilisés sont regroupés à la fin : les jours (lundi, mardi, …), les mois (janvier, février, …), les nombres (1, 2, …, 16, 20, …, 100, mille, million), les signes de ponctuations («. », « ; », « ? », « ! », « (« , « ) », début de paragraphe).

    Un groupe représente souvent plusieurs déclinaisons d’un même mot: le mot au singulier, au pluriel, au masculin, au féminin, au féminin pluriel ainsi que d’autres mots ayant la même racine.

        880 = co, lonie, ale, s. Il permet de coder : co, colonie, coloniale,  coloniales
        250 = peu, x, t. Il permet de coder : peu, peux, peut
        353 = tout, e, es. Il permet de coder : tout, toute, toutes
        1083 = fort, e, ce, s. Il permet de coder : fort, forte, force, forts, forces
        835 = an, née, s. Il permet de coder : an, année, années, année, ans
        546 = conclu, re, sion, s. Il permet de coder : conclu, conclus, conclure, conclusion, conclusions
        709 = manifeste, r, mt. Il permet de coder : manifeste, manifester, manifestement
    
    Les lettres, syllabes ou mots très utilisés étaient codés par plusieurs groupes :
        du = 1150, 407, 960, 241
        bien, s = 1170, 218
        cet, te = 247, 968, 1175
        guerre, s = 662, 104
        & = 460, 1124, 62, 965, 807
    
    Groupes particuliers :
    • Un groupe permet d’annuler le code qui le précède. Ce type de code existait déjà à l’époque royale. Mais dans le code F18, il y a aussi un groupe pour annuler la ligne courante.
    • Dans les codes de l’époque royale, il y avait des codes qui n’avait pas de signification pour tromper l’ennemi. Ces groupes étaient désignés avec le nom « nul ». Ce type de groupe est absent du code F18. Par contre, il y deux groupes qui annulent la signification des groupes qui sont entre eux (cf. le manuel). Un autre groupe annule le reste de la ligne et un autre le reste de la page.
    • D’autres groupes (très nombreux) permettent de signifier la fin du courrier.

    Le texte (verbatim) du manuel

    p1 p2
    Ministère de la Guerre (au crayon: 1815 (cent-jours))

    Instructions pour l'emploi du chiffre marqué F. N°18. pour servir à la correspondance de M M. les Gouverneurs et Commandants de places.


    Ce chiffre se compose de deux tables, l'une marquée C, par ordre alphabétique; sert à écrire en chiffres, et l'autre marquée D, par ordre numérique, Sert à traduire les chiffres en phrases.

    Il se compose de 1200 numéros, qui tous présentent une signification; on remarque que pour les mots dont l'usage est le plus fréquent, on indique plusieurs numéros qu'on peut employer alternativement pour éviter que les mêmes se représente trop souvent:

    L'exemple suivant suffira pour faire comprendre comment on doit employer la table C, qui sert à chiffrer.

    " Une Colonne ennemie forte de 20,000 hommes,
    " Se porte sur moi; tout annonce que sous peu je
    " serais attaqué et je suis pret à tout évènement. "

      229.    1196.   880.   748.   1014.  204.   364.
       u ---   ne ---  Co --- lo --- n ---  ne - ennemie
      1083 --  549 -- 1148 - 1041 -- 536 -- 1181 - 955 -
       forte - de --- 20  -- mille  hommes  se    porte
      288 -  1027 -  760 - 1136. 835.  805.   647.
       Sur  - moi      ;    tout  an -  non -  ce
      212.    115.   290.   988.  150.   958.  410
       que    Sous    peu    je    se   rai   annulent les chiffres
      717. 29. 1200. 975. 360. 171.      1103           273
       ---------------------------- Compris entre eux - attaqué
      460.  988.  270. 65.  975.  539.  353.   416.
       et    je  suis  pre   t     à    tout  événement
      1164.  583.
       .   marquant la fin.
    
    Pour rendre plus difficile l'interprétation d'une dépêche chiffrée, dans le cas où elle serait interceptée, on peut à volonté y introduire des numéros nuls; les premiers venus remplissent cet objet, il suffit de les faire précéder et suivre par les deux numéros qui annulent les chiffres compris entre eux. L'exemple suivant présente la manière de les employer, en même temps qu'il indique comment on se sert de la table D, pour déchiffrer.

    On reçoit une dépêche ainsi chiffrée.

      559.  958.  352.  849.  835.  805.
      827.  212. 1142.  364.  739. 1185.
      833.  963.  692.   24.  615.  154.
      162. 1164.  806.  128. 1085. 1027.
     1094.  548.  199.  604.  549.  869.
      906.  749.  583.
    
    On prend la table D, et on cherche chaque numéro, on trouve;
      559.  958.  352.  849.  835.  805. 827.
      des   ra -   p -  ports an -  non  cent
      212. 1142.  364.  739. 1185.  833. 963.
      que   l -  ennemi  est  en    re - tra
      692.   24.  615.  154.  162. 1164. 806.
    - ites-  ;   faites  le  suivre  .  alinéa
      128.   1085. 1027.  1094. 548.  199. 
     envoye - z   moi    L'   état   de
      604.    549.  869.  906.  749.  583.
    situation  de    vos toupes  . marquant la fin
    
    Règle générale; on doit chiffrer en séparant bien les numéros et laissant entre les lignes assez d'intervalle pour mettre la traduction. On ne doit jamais gratter, ni surcharger un numéro. Quand on s’aperçoit qu'on s'est trompé, on laisse subsister la faute en mettant après les n° faux, le nombre indiqué à la table C, comme annulant celui qui le précède, et on réparera ainsi la faute en reprenant le n° sur lequel on s'était trompé.

    Commentaires sur le manuel

    Dans les deux textes chiffrés, il y a quelques erreurs :
    • Le groupe 1041 n’a pas été trouvé dans aucune des deux tables. Il est traduit pas « mille ».
    • Dans le deuxième texte, dans la première ligne, le groupe 849 est erroné. On aurait du avoir le groupe 847.
    Le code contient quelques signes de ponctuation et de formatage :
    • 1164, 749 = un point (« . »)
    • 760 = point et virgule (« ; »)
    • 806 = alinéa (nouveau paragraphe)
    Beaucoup de groupes ont plusieurs significations. Le chiffreur doit choisir l’une d’elle. D’autre part il peut utiliser un groupe pour traduire seulement le début d’un mot.
    • 880 = co,lonie, ale, s. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire la syllabe « co ».
    • 748 = lo,i,r,s,t. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire la syllabe « lo ».
    • 250 = peu, x, t. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire le mot « peu »
    • 353 = tout, e, es. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire le mot « tout »
    • 1083 = fort, e, ce, s. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire le mot « forte ».
    • 835 = an, s, née, s. Dans le texte ce groupe est utilisé pour traduire le poly- gramme « an ».

    Les tables chiffrantes et déchiffrantes

    C F18 chiffre
    D F18 dechif
    Les deux tables, chiffrantes et déchiffrantes, présentes dans les archives du SHD sont respectivement titrés :
    • C F N°18
    • D F N°18
    Elles s’adressent aux Gouverneurs et commandants de places.

    Il est indiqué que les exemplaires ont appartenu au Général de division Thouvenot commandant à Bayonne et pendant son service en Juin et juillet 1815.

    Le général de division Pierre Thouvenot

    Il est élevé au grade de général de division le 25 novembre 1813. De la mi-février au 5 mai 1814, il est gouverneur de Bayonne, commandant en chef des troupes qui retiennent sous les murs de la ville trente neuf mille soldats de l'armée de Wellington qui ne parviendront jamais à faire plier la défense française.

    Commandant supérieur de Rochefort pendant les Cent-Jours, il retrouve son commandement à Bayonne au retour de Napoléon. Après Waterloo et la restauration de la Monarchie, lui, qui a toujours manifesté une loyauté indéfectible à l'Empereur, est placé en non-activité le 10 août 1815, puis mis à la retraite le 9 septembre suivant.

    Références

    • SHD – 1M 2352 – MEMOIRE DE CORRESPONDANCE REPUBLIQUE ET EMPIRE DOCUMENT GENERAUX CHIFFRES DE CORRESPONDANCE.
    • Wikipedia - Pierre Thouvenot